Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 1.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forcenée. Le câble cassa comme un cheveu.

L’ancre demeura au fond de la mer.

Du taille-mer il ne restait que l’ange regardant dans sa lunette.

À dater de ce moment, l’ourque ne fut plus qu’une épave. La Matutina était irrémédiablement désemparée. Ce navire, tout à l’heure ailé, et presque terrible dans sa course, était maintenant impotent. Pas une manœuvre qui ne fût tronqué et désarticulée. Il obéissait, ankylosé et passif, aux furies bizarres de la flottaison. Qu’en quelques minutes, à la place d’un aigle, il y ait un cul-de-jatte, cela ne se voit qu’à la mer.

Le soufflement de l’espace était de plus en plus monstrueux. La tempête est un poumon épouvantable. Elle ajoute sans cesse de lugubres aggravations à ce qui n’a point de nuances, le noir. La cloche du milieu de la mer sonnait désespérément, comme secouée par une main farouche.

La Matutina s’en allait au hasard des vagues ; un bouchon de liège a de ces ondulations ; elle ne voguait plus, elle surnageait ; elle semblait à chaque instant prête à se retourner le ventre à fleur d’eau comme un poisson mort. Ce qui la