Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 1.djvu/273

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d’écume dans l’océan, sont des manifestations vertigineuses ; la toute-puissance ne prend pas la peine de cacher son atome, elle fait la faiblesse force, elle emplit de son tout le néant, et c’est avec l’infiniment petit que l’infiniment grand vous écrase. C’est avec des gouttes que l’océan vous broie. On se sent jouet.

Jouet, quel mot terrible !

La Matutina était un peu au-dessus d’Aurigny, ce qui était favorable ; mais dérivait vers la pointe nord, ce qui était fatal. La bise nord-ouest, comme un arc tendu décoche une flèche, lançait le navire vers le cap septentrional. Il existe à cette pointe, un peu en deçà du havre des Corbelets, ce que les marins de l’archipel normand appellent « un singe ».

Le singe, — swinge — est un courant de l’espèce furieuse. Un chapelet d’entonnoirs dans les bas-fonds produit dans les vagues un chapelet de tourbillons. Quand l’un vous lâche, l’autre vous reprend. Un navire, happé par le singe, roule ainsi de spirale en spirale jusqu’à ce qu’une roche aiguë ouvre la coque. Alors le bâtiment crevé s’arrête, l’arrière sort des vagues, l’avant plonge,