Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 1.djvu/358

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— À présent…

L’homme avança du pied l’escabeau, y fit asseoir, toujours par une poussée aux épaules, le petit garçon, et lui montra de l’index l’écuelle qui fumait sur le poêle. Ce que l’enfant entrevoyait dans cette écuelle, c’était encore le ciel, c’est-à-dire une pomme de terre et du lard.

— Tu as faim, mange.

L’homme prit sur une planche une croûte de pain dur et une fourchette de fer, et les présenta à l’enfant. L’enfant hésita.

— Faut-il que je mette le couvert ? dit l’homme.

Et il posa l’écuelle sur les genoux de l’enfant.

— Mords dans tout ça !

La faim l’emporta sur l’ahurissement. L’enfant se mit à manger. Le pauvre être dévorait plutôt qu’il ne mangeait. Le bruit joyeux du pain croqué remplissait la cahute. L’homme bougonnait.

— Pas si vite, horrible goinfre ! Est-il gourmand, ce gredin-là ! Ces canailles qui ont faim mangent d’une façon révoltante. On n’a qu’à voir souper un lord. J’ai vu dans ma vie des ducs manger. Ils ne mangent pas ; c’est ça qui est