Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 2.djvu/232

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une oasis de clarté, et dans cette oasis ces deux êtres hors de la vie, s’éblouissant.

Pas de pureté comparable à ces amours. Dea ignorait ce que c’était qu’un baiser, bien que peut-être elle le désirât ; car la cécité, surtout d’une femme, a ses rêves, et, quoique tremblante devant les approches de l’inconnu, ne les hait pas toutes. Quant à Gwynplaine, la jeunesse frissonnante le rendait pensif ; plus il se sentait ivre, plus il était timide ; il eût pu tout oser avec cette compagne de son premier âge, avec cette ignorante de la faute comme de la lumière, avec cette aveugle qui voyait une chose, c’est qu’elle l’adorait. Mais il eût cru voler ce qu’elle lui eût donné ; il se résignait avec une mélancolie satisfaite à aimer angéliquement, et le sentiment de sa difformité se résolvait en une pudeur auguste.

Ces heureux habitaient l’idéal. Ils y étaient époux à distance comme les sphères. Ils échangeaient dans le bleu l’effluve profond qui dans l’infini est l’attraction et sur la terre le sexe. Ils se donnaient des baisers d’âme.

Ils avaient toujours eu la vie commune. Ils ne se connaissaient pas autrement qu’ensemble. L’en-