Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 2.djvu/233

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fance de Dea avait coïncidé avec l’adolescence de Gwynplaine. Ils avaient grandi côte à côte. Ils avaient longtemps dormi dans le même lit, la cahute n’étant point une vaste chambre à coucher. Eux sur le coffre, Ursus sur le plancher ; voilà quel était l’arrangement. Puis un beau jour, Dea étant encore petite, Gwynplaine s’était vu grand, et c’est du côté de l’homme qu’avait commencé la honte. Il avait dit Ursus : Je veux dormir à terre, moi aussi. Et, le soir venu, il s’était étendu près du vieillard, sur la peau d’ours. Alors Dea avait pleuré. Elle avait réclamé son camarade de lit. Mais Gwynplaine, devenu inquiet, car il commençait à aimer, avait tenu bon. À partir de ce moment, il s’était mis à coucher sur le plancher avec Ursus. L’été, dans les belles nuits, il couchait dehors, avec Homo. Dea avait treize ans qu’elle n’était pas encore résignée. Souvent le soir elle disait : Gwynplaine, viens près de moi ; cela me fera dormir. Un homme à côté d’elle était un besoin du sommeil de l’innocente. La nudité, c’est de se voir nu ; aussi ignorait-elle la nudité. Ingénuité d’Arcadie ou d’Otaïti. Dea sauvage faisait Gwynplaine farou-