Page:Hugo - Légende des siècles, Hachette, 1920, 1e série, volume 1.djvu/16

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prédisposait-elle à se faire l’instrument d’une politique napoléonnienne[1] 1 ; le jour où cette politique lui parut devoir donner satisfaction à ses idées démocratiques, il crut avoir trouvé sa voie, il précipita toute son ambition dans la fondrière ouverte, qu’il prit pour une large route, et il mit à la disposition du candidat à la Présidence son journal et son génie.

On peut juger quelle dut être la fougue des espérances de V. Hugo, en les mesurant au lyrisme des articles de l’Événement :

Pour le peuple, quand ce nom est Napoléon, il signifie confiance, renaissance du crédit, ordre, grandeur et gloire. Quand les travailleurs et les paysans vont voir un Napoléon à la tête de la République, le courage leur reviendra, et ils croiront que c’est Napoléon qui leur a rendu le courage. Qu’importe, pourvu qu’ils aient abondance et joies. Le pêcheur dans l’orage adresse sa prière à sa bonne vierge de bois, puis reprend plein d’espoir la rame et le gouvernail. Qui le ramènera au port ? te National dit : c’est l’aviron. Nous disons, nous : c’est la Madone, et le peuple est de notre avis…

A notre avis, quand M r Louis Bonaparte ne serait qu’un nom, la France ferait bien de se déclarer pour ce nom immense. Mais nous prouverons encore sans peine que sous ce nom de Napoléon, il y a un homme — que derrière l’idole, il y a l’idée[2].

Voilà sur quel ton et avec quel enthousiasme V. Hugo parlait à la fin de l’année 1848 de Louis Bonaparte. Ernest Bersot ne regardait pas sans ironie cette singulière exaltation : « L’aigle de Boulogne, écrivait-t-il, s’abat sur l’Assemblée. M. Hugo monte sur l’aigle et pousse droit au soleil levant. Bon voyage, ô génie[3] ! »

V. Hugo s’était donné tout entier ; son lyrisme était sincère. « Monté sur l’aigle », il se croyait près de la cime vers laquelle il le faisait voler de tout le déploiement de ses ailes. Il espérait logiquement et légitimement du président une fois élu la récompense qui était due à sa foi et à ses efforts.

Le public lui-même s’attendait à voir V. Hugo pourvu du

  1. Cf. L’Évolution Napoléonienne de V.Hugo sous la Restauration, par Jules Garsou. Paris, E. Paul, 1900.
  2. L’Événement du 18 novembre 1848. Extrait de l’article : Un nom.
  3. Ernest Bersot, Les Candidats à la Présidence. Versailles, 1848. Cf. Biré, V. Hugo après 1830, tome II, p. 147.