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LA LÉGENDE DES SIÈCLES.

Sont-ce des larves ? Non ; et sont-ce des statues ?
Non. C’est de la chimère et de l’horreur, vêtues
D’airain, et, des bas-fonds de ce monde puni,
Faisant une menace obscure à l’infini ;
Devant cette impassible et morne chevauchée,
L’âme tremble et se sent des spectres approchée,
Comme si l’on voyait la halte des marcheurs
Mystérieux que l’aube efface en ses blancheurs.
Si quelqu’un, à cette heure, osait franchir la porte,
À voir se regarder ces masques de la sorte,
Il croirait que la mort, à de certains moments,
Rhabillant l’homme, ouvrant les sépulcres dormants,
Ordonne, hors du temps, de l’espace et du nombre,
Des confrontations de fantômes dans l’ombre.

Les linceuls ne sont pas plus noirs que ces armets ;
Les tombeaux, quoique sourds et voilés pour jamais,
Ne sont pas plus glacés que ces brassards ; les bières
N’ont pas leurs ais hideux mieux joints que ces jambières ;
Le casque semble un crâne, et, de squammes couverts,
Les doigts des gantelets luisent comme des vers ;
Ces robes de combat ont des plis de suaires ;
Ces pieds pétrifiés siéraient aux ossuaires ;
Ces piques ont des bois lourds et vertigineux
Où des têtes de mort s’ébauchent dans les nœuds.
Ils sont tous arrogants sur la selle, et leurs bustes
Achèvent les poitrails des destriers robustes ;