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LA LÉGENDE DES SIÈCLES.

D’Afrique après Carthage et du monde après Rome,
Des soldats plus nombreux que les rêves que l’homme
Voit dans la transparence obscure du sommeil ;
Mais à quoi bon avoir été l’homme soleil ?
Puisqu’on est le néant, que sert d’être le maître ?
Que sert d’être calife ou mage ? À quoi bon être
Un de ces pharaons, ébauches de sultans,
Qui, dans la profondeur ténébreuse des temps,
Jettent la lueur vague et sombre de leurs mitres ?
À quoi bon être Arsès, Darius, Armamithres,
Cyaxare, Séthos, Dardanus, Dercylas,
Xercès, Nabonassar, Asar-addon, hélas !
On a des légions qu’à la guerre on exerce ;
On est Antiochus, Chosroès, Artaxerce,
Sésostris, Annibal, Astyage, Sylla,
Achille, Omar, César, on meurt, sachez cela.
Ils étaient dans le bruit, ils sont dans le silence.
Vivants, quand le trépas sur un de vous s’élance,
Tout homme, quel qu’il soit, meurt tremblant ; mais le roi
Du haut de plus d’orgueil tombe dans plus d’effroi ;
Cet esprit plus noir trouve un juge plus farouche ;
Pendant que l’âme fuit, le cadavre se couche,
Et se sent sous la terre opprimer et chercher
Par la griffe de l’arbre et le poids du rocher ;
L’orfraie à son côté se tapit défiante ;
Qu’est-ce qu’un sultan mort ? Les taupes font leur fiente
Dans de la cendre à qui l’empire fut donné,
Et dans des ossements qui jadis ont régné ;