Page:Hugo - La Légende des siècles, 1e série, édition Hetzel, 1859, tome 1.djvu/280

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
254
LA LÉGENDE DES SIÈCLES.

Il fit un tel carnage avec son cimeterre
Que son cheval semblait au monde une panthère ;
Sous lui Smyrne et Tunis, qui regretta ses beys,
Furent comme des corps qui pendent aux gibets ;
Il fut sublime ; il prit, mêlant la force aux ruses,
Le Caucase aux Kirghis et le Liban aux Druses ;
Il fit, après l’assaut, pendre les magistrats
D’Éphèse, rouer vifs les prêtres de Patras ;
Grâce à Mourad, suivi des victoires rampantes,
Le vautour essuyait son bec fauve aux charpentes
Du temple de Thésée encor pleines de clous ;
Grâce à lui, l’on voyait dans Athènes des loups,
Et la ronce couvrait de sa verte tunique
Tous ces vieux pans de murs écroulés, Salonique,
Corinthe, Argos, Varna, Tyr, Didymotichos,
Où l’on n’entendait plus parler que les échos ;
Mourad fut saint ; il fit étrangler ses huit frères ;
Comme les deux derniers, petits, cherchaient leurs mères
Et s’enfuyaient, avant de les faire mourir,
Tout autour de la chambre il les laissa courir ;
Mourad, parmi la foule invitée à ses fêtes,
Passait, le cangiar à la main, et les têtes
S’envolaient de son sabre ainsi que des oiseaux ;
Mourad, qui ruina Delphe, Ancyre et Naxos,
Comme on cueille un fruit mûr, tuait une province ;
Il anéantissait le peuple avec le prince,
Les temples et les dieux, les rois et les donjons ;
L’eau n’a pas plus d’essaims d’insectes dans ses joncs