Page:Hugo - La Légende des siècles, 1e série, édition Hetzel, 1859, tome 2.djvu/149

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il a, comme un palais, ses tours et sa façade ;
Tous sont hardis et forts, du fifre à l’anspessade ;
Gloire aux hallebardiers splendides ! ces piquiers
Sont une rude pièce aux royaux échiquiers ;
On sent que ces gaillards sortent des avalanches
Qui des cols du Malpas roulent jusqu’à Sallenches ;
En guerre, au feu, ce sont des tigres pour l’élan ;
À Schœnbrunn, chacun d’eux a l’air d’un chambellan ;
Auprès de leur cocarde ils piquent une rose ;
Et tous, en même temps, graves, ont quelque chose
De froid, de sépulcral, d’altier, de solennel,
Le grand baron Madruce étant leur colonel !
Leur hallebarde est longue et s’ajoute à leur taille ;
Quand ce dur régiment est dans une bataille,
— Lâchât-on contre lui les mamelouks du Nil, —
La meute des plus fiers escadrons, le chenil
Des bataillons les plus hideux, les plus épiques,
Regarde en reculant ce sanglier de piques.
Ils sont silencieux comme un nuage noir ;
Ils laissent seulement, par instants, entrevoir
Une lueur tragique aux multitudes viles ;
Parfois, leur humeur change, ils entrent dans les villes,
Ivres et gais, frappant leurs marmites de fer,
Et font devant le seuil des maisons un bruit fier,
Heureux, vainqueurs, sanglants, chantant à pleine bouche
La noce de la joie et du sabre farouche ;
Ils ont nommé, tuant, mourant pour de l’argent,
Trépas, leur capitaine, et Danger, leur sergent ;