Page:Hugo - La Légende des siècles, 1e série, édition Hetzel, 1859, tome 2.djvu/155

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Et la sereine horreur des antres pour palais,
La terre qui nous montre au milieu des chalets
Le fier archer d’Altorf tenant son arbalète,
Et, titan, au-dessus du lac qui le reflète,
Enjambant les grands monts comme des escaliers,
La voilà maintenant nourrice de geôliers,
Et l’on voit pendre ensemble à ses sombres mamelles
La honte avec la gloire, ainsi que deux jumelles !
L’aigle à deux fronts, marqué de son double soufflet,
À cette heure à travers nos pâtres boit son lait !

Quoi ! la trompe d’Uri sonnant de roche en roche,
La couronne de fer qu’un montagnard décroche,
Les baillis jetés bas, le Föhn soufflant dix mois,
Ces pentes de granit où saute le chamois
Et qui firent glisser Charles le Téméraire,
Le Mont-Blanc qui ne dit qu’à l’Himalaya : Frère !
Ces sommets, éclatants comme d’énormes lys ;
Quoi ! le Pilate, quoi ! le Rigi ! Titlis,
Ce triangle hideux de géants noirs, qui cerne
Et qui garde le lac tragique de Lucerne ;
Quoi ! la vaste gaîté des nuages, des fleurs,
Des eaux, des ouragans puissants et querelleurs ;
Quoi ! l’honneur, quoi ! l’épieu de Sempach, la cognée
De Morat bondissant hors des bois indignée,