Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/238

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Et la Fraternité, de ses larges rameaux
Laissant tomber les biens en foule et non les maux.
Pour avoir de tels yeux il faut être stupide !
À mort ! Et chacun grince, et trépigne, et lapide ;
Avec tout ce qu'on a sous la main, fouets, bâtons,
On frappe, on raille, on tue au hasard, à tâtons,
Tant les âmes ont peur de manquer de ténèbres,
Et tant les hommes sont facilement funèbres !
L'ennemi public meurt. Bien. Tout s'évanouit.
Nous allons donc avoir tranquillement la nuit !
La sainte cécité publique est rétablie.
On boit, on mange, on rampe, on chuchote, on oublie,
L'ordre n'est plus troublé par un noir songe-creux ;
On est des loups contents et des ânes heureux ;
Le bonze met son masque et le temple son voile ;
Quant au rêveur marchant en avant de l'étoile,
Qui venait déranger Moïse et Mahomet,
On ne sait même plus comment il se nommait.
Et qu'annonçait-il donc ? La vérité ? Quel songe !
Au fond, la vérité, vivants, c'est un mensonge ;
La vérité n'est pas. Fermons les yeux. Dormons.
Tout à coup, au milieu des psaumes, des sermons,
Des hymnes, des chansons, des cris, des ironies,
Quelque chose à travers les brumes infinies
Semble apparaître au seuil du ciel, et l'on croit voir
Un point confus blanchir au fond du gouffre noir,
Comme un aigle arrivant dont grandit l'envergure ;
Et le point lumineux devient une figure,