Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/256

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La mitraille voyait fort clair dans cette brume,
Nous tenait compagnie, écrasait le chevet
De l'église, et la croix de pierre, et nous prouvait
Que nous n'étions pas seuls dans cette plaine obscure.
Nous avions faim, mais pas de soupe ; on se procure
Avec peine à manger dans un tel lieu. Voilà
Que la grêle de feu tout à coup redoubla.
La mitraille, c'est fort gênant ; c'est de la pluie ;
Seulement ce qui tombe et ce qui vous ennuie,
Ce sont des grains de flamme et non des gouttes d'eau.
Des gens à qui l'on met sur les yeux un bandeau,
C'était nous. Tout croulait sous les obus, le cloître,
L'église et le clocher, et je voyais décroître
Les ombres que j'avais autour de moi debout ;
Une de temps en temps tombait. — On meurt beaucoup,
Dit un sergent pensif comme un loup dans un piége ;
Puis il reprit, montrant les fosses sous la neige :
— Pourquoi nous donne-t-on ce champ déjà meublé ? —
Nous luttions. C'est le sort des hommes et du blé
D'être fauchés sans voir la faulx. Un petit nombre
De fantômes rôdait encor dans la pénombre ;
Mon gamin de tambour continuait son bruit ;
Nous tirions par-dessus le mur presque détruit.
Mes enfants, vous avez un jardin ; la mitraille
Était sur nous, gardiens de cette âpre muraille,
Comme vous sur les fleurs avec votre arrosoir.
— Vous ne vous en irez qu'à six heures du soir.
Je songeais, méditant tout bas cette consigne.