Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/257

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Des jets d'éclairs mêlés à des plumes de cygne,
Des flammèches rayant dans l'ombre les flocons,
C'est tout ce que nos yeux pouvaient voir. — Attaquons !
Me dit le sergent. — Qui ? dis-je, on ne voit personne.
— Mais on entend. Les voix parlent ; le clairon sonne.
Partons, sortons ; la mort crache sur nous ici ;
Nous sommes sous la bombe et l'obus. — Restons-y.
J'ajoutai : — C'est sur nous que tombe la bataille.
Nous sommes le pivot de l'action. — Je bâille,
Dit le sergent. — Le ciel, les champs, tout était noir ;
Mais quoiqu'en pleine nuit, nous étions loin du soir,
Et je me répétais tout bas : Jusqu'à six heures.
— Morbleu ! nous aurons peu d'occasions meilleures
Pour avancer ! me dit mon lieutenant. Sur quoi,
Un boulet l'emporta. Je n'avais guère foi
Au succès ; la victoire au fond n'est qu'une garce.
Une blême lueur, dans le brouillard éparse,
Éclairait vaguement le cimetière. Au loin
Rien de distinct, sinon que l'on avait besoin
De nous pour recevoir sur nos têtes les bombes.
L'empereur nous avait mis là, parmi ces tombes ;
Mais, seuls, criblés d'obus et rendant coups pour coups,
Nous ne devinions pas ce qu'il faisait de nous.
Nous étions, au milieu de ce combat, la cible.
Tenir bon, et durer le plus longtemps possible,
Tâcher de n'être morts qu'à six heures du soir,
En attendant, tuer, c'était notre devoir.
Nous tirions au hasard, noirs de poudre, farouches ;