Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/259

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Immense remplissait cette ombre sépulcrale.
Les rois ont les soldats comme vous vos jouets.
Je levais mon épée, et je la secouais
Au-dessus de ma tête, et je criais : Courage !
J'étais sourd et j'étais ivre, tant avec rage
Les coups de foudre étaient par d'autres coups suivis ;
Soudain mon bras pendit, mon bras droit, et je vis
Mon épée à mes pieds, qui m'était échappée ;
J'avais un bras cassé ; je ramassai l'épée
Avec l'autre, et la pris dans ma main gauche : — Amis !
Se faire aussi casser le bras gauche est permis !
Criai-je, et je me mis à rire, chose utile,
Car le soldat n'est point content qu'on le mutile,
Et voir le chef un peu blessé ne déplaît point.
Mais quelle heure était-il ? Je n'avais plus qu'un poing,
Et j'en avais besoin pour lever mon épée ;
Mon autre main battait mon flanc, de sang trempée,
Et je ne pouvais plus tirer ma montre. Enfin
Mon tambour s'arrêta : — Drôle, as-tu peur ? — J'ai faim,
Me répondit l'enfant. En ce moment la plaine
Eut comme une secousse, et fut brusquement pleine
D'un cri qui jusqu'au ciel sinistre s'éleva.
Je me sentais faiblir ; tout un homme s'en va
Par une plaie ; un bras cassé, cela ruisselle ;
Causer avec quelqu'un soutient quand on chancelle ;
Mon sergent me parla ; je dis au hasard : Oui,
Car je ne voulais pas tomber évanoui.
Soudain le feu cessa, la nuit sembla moins noire.