Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/386

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Je suis le conquérant ; je tiens l’épée ardente,
Et j’entre, épouvantant l’ombre que je poursuis,
Dans toutes les terreurs et dans toutes les nuits.
Je suis Platon, je vois ; je suis Newton, je trouve :
10Du hibou je fais naître Athène, et de la louve
Rome ; et l’aigle m’a dit : Toi, marche le premier !
J’ai Christ dans mon sépulcre et Job sur mon fumier.
Je vis ! dans mes deux mains je porte en équilibre
L’âme et la chair ; je suis l’homme enfin, maître et libre.
15Je suis l’antique Adam ! j’aime, je sais, je sens ;
J’ai pris l’arbre de vie entre mes poings puissants ;
Joyeux, je le secoue au-dessus de ma tête,
Et, comme si j’étais le vent de la tempête,
J’agite ses rameaux d’oranges d’or chargés,
20Et je crie : — Accourez, peuples ! prenez, mangez !
Et je fais sur leurs fronts tomber toutes les pommes ;
Car, science, pour moi, pour mes fils, pour les hommes
Ta sève à flots descend des cieux pleins de bonté,
Car la Vie est ton fruit, racine Éternité !
25Et tout germe, et tout croît, et, fournaise agrandie,
Comme en une forêt court le rouge incendie,
Le beau Progrès vermeil, l’œil sur l’azur fixé,
Marche, et tout en marchant dévore le passé.
Je veux, tout obéit, la matière inflexible
30Cède ; je suis égal presque au grand Invisible ;
Coteaux, je fais le vin comme lui fait le miel ;
Je lâche comme lui des globes dans le ciel ;
Je me fais un palais de ce qui fut ma geôle ;