Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/85

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Sa zone est le désert redoutable ; où commence
La semelle des ours marquant dans les chemins
Des espèces de pas horribles presque humains,
Il est chez lui. Cet être a fui dès son jeune âge.
De l'énormité sombre il est le personnage ;
Il rit, ayant l'azur ; ses dents au lieu de pain
Cassent l'amande huileuse et rance du sapin ;
La montagne, acceptant cet homme sur les cimes,
Trouve son vaste bond ressemblant aux abîmes,
Sa voix, comme les bois et comme les torrents,
Sonore, et de l'éclair ses yeux peu différents ;
De sorte que ces monts et que cette nature
Se sentent augmentés presque de sa stature.

Il va du col au dôme et du pic au vallon.
Le glissement n'est pas connu de son talon ;
Sa marche n'est jamais plus altière et plus sûre
Qu'au bord vertigineux de quelque âpre fissure ;
Il franchit tout, distance, avalanches, hasards,
Tempêtes, précédé d'une fuite d'isards ;
Hier, il côtoyait Irun ; aujourd'hui l'aube
Le voit se refléter dans le vert lac de Gaube,
Chassant, pêchant, perçant de flèches les hérons,
Ou voguant, à défaut de barque et d'avirons,
Sur un tronc de sapin qui flotte et qu'il manœuvre
Avec le mouvement souple de la couleuvre.
Il entre, apparaît, sort, sans qu'on sache par où.