Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/89

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Dans un grossissement de brume et de fumée,
Entouré d'un nuage obscur de renommée,
Quoique invisible au fond de ses rocs, mais debout
Dans son fantôme allant, venant, dominant tout,
Cet homme s'aperçoit de très loin en Espagne.

Chacun des rois a pris sa part de la montagne.
Fervehan a Lordos, Bermudo Cauteretz ;
Sanche a le Canigo, pic chargé de forêts
Que blanchit du matin la clarté baptismale ;
Padres a la Prexa, Juan tient le Vignemale ;
Sforon est roi d'Urgel, Blas est roi d'Obité ;
La part de Masferrer s'appelle Liberté.
Pas un plus grand que lui sur ces monts ne se pose.

Qu'est-ce que ce géant ? C'est un voleur. La chose
Est simple ; tout colosse a toujours deux côtés ;
Et les difformités et les sublimités
Habitent la montagne ainsi que des voisines.
Le prodige et le monstre ont les mêmes racines.
Monstre, jusqu'où ? Jamais de pas vils et rampants ;
Jamais de trahisons, jamais de guet-apens ;
Masferrer attaquait tout seul des groupes d'hommes ;
Au pâle rustre allant vendre au marché ses pommes,
Il disait : Va ! c'est bien ! Il laissait volontiers
Aux pauvres gens, tremblant la nuit dans les sentiers,