Page:Hugo - Les Châtiments (Hetzel, 1880).djvu/346

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Errant sans passe-port, sans nom et sans foyer,
Nous autres, les proscrits qu’on ne fait pas ployer,
Nous qui n’acceptons point qu’un peuple s’abrutisse.
Qui d’ailleurs ne voulons, tout en voulant justice,
D’aucune représaille et d’aucun échafaud,
Nous, dis-je, les vaincus sur qui Mandrin prévaut,
Pour que la liberté revive, et que la honte
Meure, et qu’à tous les fronts l’honneur serein remonte,
Pour affranchir romains, lombards, germains, hongrois,
Pour faire rayonner, soleil de tous les droits,
La république mère au centre de l’Europe,
Pour réconcilier le palais et l’échoppe,
Pour faire refleurir la fleur Fraternité,
Pour fonder du travail le droit incontesté,
Pour tirer les martyrs de ces bagnes infâmes,
Pour rendre aux fils le père et les maris aux femmes,
Pour qu’enfin ce grand siècle et cette nation
Sortent du Bonaparte et de l’abjection,
Pour atteindre à ce but où notre âme s’élance,
Nous nous ceignons les reins dans l’ombre et le silence ;
Nous nous déclarons prêts, — prêts, entendez-vous bien ? —
Le sacrifice est tout, la souffrance n’est rien, —
Prêts, quand Dieu fera signe, à donner notre vie ;
Car à voir ce qui vit, la mort nous fait envie,
Car nous sommes tous mal sous ce drôle effronté,
Vivant, nous sans patrie, et vous sans liberté !

Oui, sachez-le, vous tous que l’air libre importune
Et qui dans ce fumier plantez votre fortune,
Nous ne laisserons pas le peuple s’assoupir ;