Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/230

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Quand il sort de son rêve, il revoit la nature.
Il parle à la nuée, errant à l’aventure,
Dans l’azur émigrant ;
Il dit : Que ton encens est chaste, ô clématite !
Il dit au doux oiseau : Que ton aile est petite,
Mais que ton vol est grand !

Le soir, quand il voit l’homme aller vers les villages
Glaneuses, bûcherons qui traînent des feuillages,
Et les pauvres chevaux
Que le laboureur bat et fouette avec colère,
Sans songer que le vent va le rendre à son frère
Le marin sur les flots ;

Quand il voit les forçats passer, portant leur charge,
Les soldats, les pêcheurs pris par la nuit au large
Et hâtant leur retour,
Il leur envoie à tous, du haut du mont nocturne,
La bénédiction qu’il a puisée à l’urne
De l’insondable amour !

Et, tandis qu’il est là, vivant sur sa colline,
Content, se prosternant dans tout ce qui s’incline,
Doux rêveur bienfaisant,
Emplissant le vallon, le champ, le toit de mousse
Et l’herbe et le rocher de la majesté douce
De son cœur innocent,

S’il passe par hasard, près de sa paix féconde,
Un de ces grands esprits en butte aux flots du monde
Révolté devant eux,
Qui craignent à la fois, sur ces vagues funèbres,
La terre de granit et le ciel de ténèbres,
L’homme ingrat, Dieu douteux ;