Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/280

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Quand, accroupie au seuil du mystère insondable,
La Révolution se dressait formidable,
Sceptiques, sans voir l’ongle et l’œil fauve qui luit,
Distinguant mal sa face étrange dans la nuit,
Presque prêts à railler l’obscurité difforme,
Jouaient à la charade avec le sphinx énorme.

Vous nous disiez : — Quel deuil ! Les gueux, les mécontents,
Ont fait rage ; on n’a pas su s’arrêter à temps.
Une transaction eût tout sauvé peut-être.
Ne peut-on être libre et le roi rester maître ?
Le peuple conservant le trône eût été grand. —
Puis vous deveniez triste et morne ; et, murmurant :
— Les plus sages n’ont pu sauver ce bon vieux trône.
Tout est mort ; ces grands rois, ce Paris Babylone,
Montespan et Marly, Maintenon et Saint-Cyr ! —
Vous pleuriez. — Et, grand Dieu ! pouvaient-ils réussir,
Ces hommes qui voulaient, combinant vingt régimes,
La loi qui nous froissa, l’abus dont nous rougîmes,
Vieux codes, vieilles mœurs, droit divin, nation,
Chausser de royauté la Révolution ?
La patte du lion creva cette pantoufle !


II


Puis vous m’avez perdu de vue ; un vent qui souffle
Disperse nos destins, nos jours, notre raison,
Nos cœurs, aux quatre coins du livide horizon ;
Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière.
La seconde âme en nous se greffe à la première ;
Toujours la même tige avec une autre fleur.
J’ai connu le combat, le labeur, la douleur,
Les faux amis, ces nœuds qui deviennent couleuvres ;
J’ai porté deuils sur deuils ; j’ai mis œuvres sur œuvres ;