Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/405

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Qui punit-on ici ? Passez sans vous connaître !
Est-ce toi le coupable, enfant qui viens de naître ?
Ô mort, est-ce toi le vivant ?

Nous avons dans l’esprit des sommets, nos idées,
Nos rêves, nos vertus, d’escarpements bordées,
Et nos espoirs construits si tôt ;
Nous tâchons d’appliquer à ces cimes étranges
L’âpre échelle de feu par où montent les anges ;
Job est en bas, Christ est en haut.

Nous aimons. À quoi bon ? Nous souffrons. Pour quoi faire ?
Je préfère mourir et m’en aller. Préfère.
Allez, choisissez vos chemins.
L’être effrayant se tait au fond du ciel nocturne,
Et regarde tomber de la bouche de l’urne
Le flot livide des humains.

Nous pensons. Après ? Rampe, esprit ! garde tes chaînes.
Quand vous vous promenez le soir parmi les chênes
Et les rochers aux vagues yeux,
Ne sentez-vous pas l’ombre où vos regards se plongent
Reculer ? Savez-vous seulement à quoi songent
Tous ces muets mystérieux ?

Nous jugeons. Nous dressons l’échafaud. L’homme tue
Et meurt. Le genre humain, foule d’erreur vêtue,
Condamne, extermine, détruit,
Puis s’en va. Le poteau du gibet, ô démence !
Ô deuil ! est le bâton de cet aveugle immense
Marchant dans cet immense nuit.

Crime ! enfer ! quel zénith effrayant que le nôtre,
Où les douze Césars toujours l’un après l’autre
Reviennent, noirs soleils errants !