Page:Hugo - Les Misérables Tome II (1890).djvu/168

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voir des choses dans les branches et dans les broussailles. Elle arriva ainsi à la source.

C’était une étroite cuve naturelle creusée par l’eau dans un sol glaiseux, profonde d’environ deux pieds, entourée de mousse et de ces grandes herbes gaufrées qu’on appelle collerettes de Henri IV, et pavée de quelques grosses pierres. Un ruisseau s’en échappait avec un petit bruit tranquille.

Cosette ne prit pas le temps de respirer. Il faisait très noir, mais elle avait l’habitude de venir à cette fontaine. Elle chercha de la main gauche dans l’obscurité un jeune chêne incliné sur la source qui lui servait ordinairement de point d’appui, rencontra une branche, s’y suspendit, se pencha et plongea le seau dans l’eau. Elle était dans un moment si violent que ses forces étaient triplées. Pendant qu’elle était ainsi penchée, elle ne fit pas attention que la poche de son tablier se vidait dans la source. La pièce de quinze sous tomba dans l’eau. Cosette ne la vit ni ne l’entendit tomber. Elle retira le seau presque plein et le posa sur l’herbe.

Cela fait, elle s’aperçut qu’elle était épuisée de lassitude. Elle eût bien voulu repartir tout de suite ; mais l’effort de remplir le seau avait été tel qu’il lui fut impossible de faire un pas. Elle fut bien forcée de s’asseoir. Elle se laissa tomber sur l’herbe et y demeura accroupie.

Elle ferma les yeux, puis elle les rouvrit, sans savoir pourquoi, mais ne pouvant faire autrement.

À côté d’elle l’eau agitée dans le seau faisait des cercles qui ressemblaient à des serpents de fer-blanc.