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LES MISÉRABLES. — L’IDYLLE RUE PLUMET.

tait la tête hors de sa rêverie et disait : Est-ce qu’on se bat ?

À la nuit tombante, à neuf heures précises, comme il l’avait promis à Cosette, il était rue Plumet. Quand il approcha de la grille, il oublia tout. Il y avait quarante-huit heures qu’il n’avait vu Cosette, il allait la revoir ; toute autre pensée s’effaça et il n’eut plus qu’une joie inouïe et profonde. Ces minutes où l’on vit des siècles ont toujours cela de souverain et d’admirable qu’au moment où elles passent elles emplissent entièrement le cœur.

Marius dérangea la grille et se précipita dans le jardin. Cosette n’était pas à la place où elle l’attendait d’ordinaire. Il traversa le fourré et alla à l’enfoncement près du perron. — Elle m’attend là, dit-il. — Cosette n’y était pas. Il leva les yeux, et vit que les volets de la maison étaient fermés. Il fit le tour du jardin, le jardin était désert. Alors il revint à la maison, et, insensé d’amour, ivre, épouvanté, exaspéré de douleur et d’inquiétude, comme un maître qui rentre chez lui à une mauvaise heure, il frappa aux volets. Il frappa, il frappa encore, au risque de voir la fenêtre s’ouvrir et la face sombre du père apparaître et lui demander : Que voulez-vous ? Ceci n’était plus rien auprès de ce qu’il entrevoyait. Quand il eut frappé, il éleva la voix et appela Cosette. — Cosette ! cria-t-il. Cosette ! répéta-t-il impérieusement. On ne répondit pas. C’était fini. Personne dans le jardin ; personne dans la maison.

Marius fixa ses yeux désespérés sur cette maison lugubre, aussi noire, aussi silencieuse et plus vide qu’une tombe. Il regarda le banc de pierre où il avait passé tant d’adorables heures près de Cosette. Alors il s’assit sur les marches du