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LE 5 JUIN 1832.

s’était fait un poignard d’un crochet de chaussonnier en cassant le crochet et en aiguisant le tronçon. Un autre, dans la fièvre « d’attaquer », couchait depuis trois jours tout habillé. Un charpentier nommé Lombier rencontrait un camarade qui lui demandait : Où vas-tu ? — Eh bien ! je n’ai pas d’armes. — Et puis ? Je vais à mon chantier chercher mon compas. — Pour quoi faire ? — Je ne sais pas, disait Lombier. Un nommé Jacqueline, homme d’expédition, abordait les ouvriers quelconques qui passaient : — Viens, toi ! — Il payait dix sous de vin, et disait : — As-tu de l’ouvrage ? — Non. — Va chez Filspierre, entre la barrière Montreuil et la barrière Charonne, tu trouveras de l’ouvrage. — On trouvait chez Filspierre des cartouches et des armes. Certains chefs connus faisaient la poste, c’est-à-dire couraient chez l’un et chez l’autre pour rassembler leur monde. Chez Barthélemy, près la barrière du Trône, chez Capel, au Petit-Chapeau, les buveurs s’accostaient d’un air grave. On les entendait se dire : — Où as-tu ton pistolet ? — Sous ma blouse. Et toi ? — Sous ma chemise. Rue Traversière, devant l’atelier Roland, et cour de la Maison-Brûlée devant l’atelier de l’outilleur Bernier, des groupes chuchotaient. On y remarquait, comme le plus ardent, un certain Mavot, qui ne faisait jamais plus d’une semaine dans un atelier, les maîtres le renvoyant « parce qu’il fallait tous les jours se disputer avec lui ». Mavot fut tué le lendemain dans la barricade de la rue Ménilmontant. Pretot, qui devait mourir aussi dans la lutte, secondait Mavot, et à cette question : Quel est ton but ? répondait : — L’insurrection. Des ouvriers rassemblés au coin de la rue de Bercy attendaient un nommé Lemarin,