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LES GRANDEURS DU DÉSESPOIR.

5 juin, elle était allée chez Courfeyrac demander Marius, non pour lui remettre la lettre, mais, chose que toute âme jalouse et aimante comprendra, « pour voir ». Là elle avait attendu Marius, ou au moins Courfeyrac, — toujours pour voir. — Quand Courfeyrac lui avait dit : nous allons aux barricades, une idée lui avait traversé l’esprit. Se jeter dans cette mort-là comme elle se serait jetée dans toute autre, et y pousser Marius. Elle avait suivi Courfeyrac, s’était assurée de l’endroit où l’on construisait la barricade ; et bien sûre, puisque Marius n’avait reçu aucun avis et qu’elle avait intercepté la lettre, qu’il serait à la nuit tombante au rendez-vous de tous les soirs, elle était allée rue Plumet, y avait attendu Marius, et lui avait envoyé, au nom de ses amis, cet appel qui devait, pensait-elle, l’amener à la barricade. Elle comptait sur le désespoir de Marius quand il ne trouverait pas Cosette ; elle ne se trompait pas. Elle était retournée de son côté rue de la Chanvrerie. On vient de voir ce qu’elle y avait fait. Elle était morte avec cette joie tragique des cœurs jaloux qui entraînent l’être aimé dans leur mort, et qui disent : personne ne l’aura !

Marius couvrit de baisers la lettre de Cosette. Elle l’aimait donc ! Il eut un instant l’idée qu’il ne devait plus mourir. Puis il se dit : Elle part. Son père l’emmène en Angleterre et mon grand-père se refuse au mariage. Rien n’est changé dans la fatalité. Les rêveurs comme Marius ont de ces accablements suprêmes, et il en sort des partis pris désespérés. La fatigue de vivre est insupportable ; la mort, c’est plus tôt fait.

Alors il songea qu’il lui restait deux devoirs à accomplir :