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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

Il était sur le seuil, une main sur le bec-de-cane de la porte entre-bâillée, la tête un peu penchée en avant et branlante, le corps serré dans une robe de chambre blanche, droite et sans plis comme un suaire, étonné ; et il avait l’air d’un fantôme qui regarde dans un tombeau.

Il aperçut le lit, et sur le matelas ce jeune homme sanglant, blanc d’une blancheur de cire, les yeux fermés, la bouche ouverte, les lèvres blêmes, nu jusqu’à la ceinture, tailladé partout de plaies vermeilles, immobile, vivement éclairé.

L’aïeul eut de la tête aux pieds tout le frisson que peuvent avoir des membres ossifiés, ses yeux dont la cornée était jaune à cause du grand âge se voilèrent d’une sorte de miroitement vitreux, toute sa face prit en un instant les angles terreux d’une tête de squelette, ses bras tombèrent pendants comme si un ressort s’y fût brisé, et sa stupeur se traduisit par l’écartement des doigts de ses deux vieilles mains toutes tremblantes, ses genoux firent un angle en avant, laissant voir par l’ouverture de la robe de chambre ses pauvres jambes nues hérissées de poils blancs, et il murmura :

— Marius !

— Monsieur, dit Basque, on vient de rapporter monsieur. Il est allé à la barricade, et…

— Il est mort ! cria le vieillard d’une voix terrible. Ah ! le brigand !

Alors une sorte de transfiguration sépulcrale redressa ce centenaire droit comme un jeune homme.

— Monsieur, dit-il, c’est vous le médecin. Commencez par me dire une chose. Il est mort, n’est-ce pas ?