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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

larme dans l’œil de la loi, on ne sait quelle justice selon Dieu allant en sens inverse de la justice selon les hommes. Il apercevait dans les ténèbres l’effrayant lever d’un soleil moral inconnu ; il en avait l’horreur et l’éblouissement. Hibou forcé à des regards d’aigle.

Il se disait que c’était donc vrai, qu’il y avait des exceptions, que l’autorité pouvait être décontenancée, que la règle pouvait rester court devant un fait, que tout ne s’encadrait pas dans le texte du code, que l’imprévu se faisait obéir, que la vertu d’un forçat pouvait tendre un piège à la vertu d’un fonctionnaire, que le monstrueux pouvait être divin, que la destinée avait de ces embuscades-là, et il songeait avec désespoir que lui-même n’avait pas été à l’abri d’une surprise.

Il était forcé de reconnaître que la bonté existait. Ce forçat avait été bon. Et lui-même, chose inouïe, il venait d’être bon. Donc il se dépravait.

Il se trouvait lâche. Il se faisait horreur.

L’idéal, pour Javert, ce n’était pas d’être humain, d’être grand, d’être sublime ; c’était d’être irréprochable.

Or il venait de faillir.

Comment en était-il arrivé là ? comment tout cela s’était-il passé ? Il n’aurait pu se le dire à lui-même. Il prenait sa tête dans ses deux mains, mais il avait beau faire, il ne parvenait pas à se l’expliquer.

Il avait certainement toujours eu l’intention de remettre Jean Valjean à la loi dont Jean Valjean était le captif, et dont lui, Javert, était l’esclave. Il ne s’était pas avoué un seul instant pendant qu’il le tenait qu’il eût la pensée de le