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LA NUIT BLANCHE.

au soleil, il laissait ruisseler de ses vêtements et de ses cheveux l’eau amère, il était sauvé, il vivait.

Allait-il lâcher prise ?

Alors, l’abîme.

Il tenait ainsi douloureusement conseil avec sa pensée. Ou, pour mieux dire, il combattait ; il se ruait, furieux, au dedans de lui-même, tantôt contre sa volonté, tantôt contre sa conviction.

Ce fut un bonheur pour Jean Valjean d’avoir pu pleurer. Cela l’éclaira peut-être. Pourtant le commencement fut farouche. Une tempête, plus furieuse que celle qui autrefois l’avait poussé vers Arras, se déchaîna en lui. Le passé lui revenait en regard du présent ; il comparait et il sanglotait. Une fois l’écluse des larmes ouvertes, le désespéré se tordit.

Il se sentait arrêté.

Hélas ! dans ce pugilat à outrance entre notre égoïsme et notre devoir, quand nous reculons ainsi pas à pas devant notre idéal incommutable, égarés, acharnés, exaspérés de céder, disputant le terrain, espérant une fuite possible, cherchant une issue, quelle brusque et sinistre résistance derrière nous que le pied du mur !

Sentir l’ombre sacrée qui fait obstacle !

L’invisible inexorable, quelle obsession !

Donc avec la conscience on n’a jamais fini. Prends-en ton parti, Brutus ; prends-en ton parti, Caton. Elle est sans fond, étant Dieu. On jette dans ce puits le travail de toute sa vie, on y jette sa fortune, on y jette sa richesse, on y jette son succès, on y jette sa liberté ou sa patrie, on y jette son bien-être, on y jette son repos, on y jette sa joie. Encore !