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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

Le tutoiement disparu, le vous, le madame, le monsieur Jean, tout cela le faisait autre pour Cosette. Le soin qu’il avait pris lui-même de la détacher de lui lui réussissait. Elle était de plus en plus gaie et de moins en moins tendre. Pourtant elle l’aimait toujours bien, et il le sentait. Un jour elle lui dit tout à coup : vous étiez mon père, vous n’êtes plus mon père, vous étiez mon oncle, vous n’êtes plus mon oncle, vous étiez monsieur Fauchelevent, vous êtes Jean. Qui êtes-vous donc ? Je n’aime pas tout ça. Si je ne vous savais pas si bon, j’aurais peur de vous.

Il demeurait toujours rue de l’Homme-Armé, ne pouvant se résoudre à s’éloigner du quartier qu’habitait Cosette.

Dans les premiers temps il ne restait près de Cosette que quelques minutes, puis s’en allait.

Peu à peu il prit l’habitude de faire ses visites moins courtes. On eût dit qu’il profitait de l’autorisation des jours qui s’allongeaient ; il arriva plus tôt et partit plus tard.

Un jour il échappa à Cosette de lui dire : Père. Un éclair de joie illumina le vieux visage sombre de Jean Valjean. Il la reprit : Dites Jean. — Ah ! c’est vrai, répondit-elle avec un éclat de rire, monsieur Jean. — C’est bien, dit-il. Et il se détourna pour qu’elle ne le vît pas essuyer ses yeux.