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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

malmenait les fripons comme un juge et qui les payait comme une dupe ?

Thénardier, on se le rappelle, quoique ayant été voisin de Marius, ne l’avait jamais vu, ce qui est fréquent à Paris ; il avait autrefois entendu vaguement ses filles parler d’un jeune homme très pauvre appelé Marius qui demeurait dans la maison. Il lui avait écrit, sans le connaître, la lettre qu’on sait. Aucun rapprochement n’était possible dans son esprit entre ce Marius-là et M. le baron Pontmercy.

Quant au nom de Pontmercy, on se rappelle que, sur le champ de bataille de Waterloo, il n’en avait entendu que les deux dernières syllabes, pour lesquelles il avait toujours eu le légitime dédain qu’on doit à ce qui n’est qu’un remercîment.

Du reste, par sa fille Azelma, qu’il avait mise à la piste des mariés du 16 février, et par ses fouilles personnelles, il était parvenu à savoir beaucoup de choses, et, du fond de ses ténèbres, il avait réussi à saisir plus d’un fil mystérieux. Il avait, à force d’industrie, découvert, ou, tout au moins, à force d’inductions, deviné quel était l’homme qu’il avait rencontré un certain jour dans le Grand Égout. De l’homme, il était facilement arrivé au nom. Il savait que madame la baronne Pontmercy, c’était Cosette. Mais de ce côté-là, il comptait être discret. Qui était Cosette ? Il ne le savait pas au juste lui-même. Il entrevoyait bien quelque bâtardise, l’histoire de Fantine lui avait toujours semblé louche, mais à quoi bon en parler ? Pour se faire payer son silence ? Il avait, ou croyait avoir, à vendre mieux que cela. Et, selon toute apparence, venir faire, sans preuve, cette révélation