Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome II (1892).djvu/184

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
176
LES TRAVAILLEURS DE LA MER

noir. On assiste à la sortie des visions et à la rentrée des ténèbres.

Une zone de phosphore, rouge de la rougeur boréale, flottait comme un haillon de flamme spectrale derrière les épaisseurs de nuages. Il en résultait un vaste blêmissement. Les largeurs de la pluie étaient lumineuses.

Ces clartés aidaient Gilliatt et le dirigeaient. Une fois il se tourna et dit à l’éclair : Tiens-moi la chandelle.

Il put, à cette lueur, exhausser la claire-voie d’arrière plus haut encore que la claire-voie d’avant. Le brise-lames se trouva presque complet. Comme Gilliatt amarrait à l’étrave culminante un câble de renfort, la bise lui souffla en plein dans le visage. Ceci lui fit dresser la tête. Le vent rentrait dans le défilé. Le vent s’était brusquement replacé au nord-est. L’assaut du goulet de l’est recommençait. Gilliatt jeta les yeux au large. Le brise-lames allait être encore assailli. Un nouveau coup de mer venait.

Cette lame fut rudement assenée ; une deuxième la suivit, puis une autre et une autre encore, cinq ou six en tumulte, presque ensemble ; enfin une dernière, épouvantable.

Celle-ci, qui était comme un total de forces, avait on ne sait quelle figure d’une chose vivante. Il n’aurait pas été malaisé d’imaginer dans cette intumescence et dans cette transparence des aspects d’ouïes et de nageoires. Elle s’aplatit et se broya sur le brise-lames. Sa forme presque animale s’y déchira dans un rejaillissement. Ce fut, sur ce bloc de rochers et de charpentes, quelque chose comme le vaste écrasement d’une hydre. La houle en mourant dévastait. Le flot paraissait se cramponner et mordre. Un profond tremblement remua l’écueil. Des grognements de bête s’y