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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

de poutre alla heurter la panse. Heureusement, dans l’intérieur de l’écueil, l’eau, enfermée de toutes parts, se ressentait à peine du bouleversement extérieur. Il y avait peu de flot, et le choc ne put être très rude. Gilliatt du reste n’avait pas le temps de s’occuper de cette avarie, s’il y avait avarie ; tous les dangers se levaient à la fois, la tempête se concentrait sur le point vulnérable, l’imminence était devant lui.

L’obscurité fut un moment profonde, l’éclair s’interrompit, connivence sinistre ; la nuée et la vague ne firent qu’un ; il y eut un coup sourd.

Ce coup fut suivi d’un fracas.

Gilliatt avança la tête. La claire-voie, qui était le front du barrage, était défoncée. On voyait les pointes de poutres bondir dans la vague. La mer se servait du premier brise-lames pour battre en brèche le second.

Gilliatt éprouva ce qu’éprouverait un général qui verrait son avant-garde ramenée.

Le deuxième rang de poutres résista au choc. L’armature d’arrière était fortement liée et contrebutée. Mais la claire-voie rompue était pesante, elle était à la discrétion des flots qui la lançaient, puis la reprenaient, les ligatures qui lui restaient l’empêchaient de s’émietter et lui maintenaient tout son volume, et les qualités que Gilliatt lui avait données comme appareil de défense aboutissaient à en faire un excellent engin de destruction. De bouclier elle était devenue massue. En outre les cassures la hérissaient, des bouts de solives lui sortaient de partout, et elle était comme couverte de dents et d’éperons. Pas d’arme contondante plus redoutable et plus propre à être maniée par la tempête.