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LA RECONNAISSANCE EN PLEIN DESPOTISME

lement de la porte. Il y avait maintenant plusieurs chandelles dans le groupe lentement grossi. Ces lumières éclairaient de côté l’homme vêtu de noir ; son profil d’une blancheur jeune et charmante se dessinait sur le fond obscur avec une pureté de médaille ; il appuyait son coude à l’angle d’un panneau de la porte, et il tenait son front dans sa main gauche, attitude, à son insu, gracieuse, qui faisait valoir la grandeur du front par la petitesse de la main. Il y avait un pli d’angoisse au coin de ses lèvres contractées. Il examinait et écoutait avec une attention profonde. Les assistants, ayant reconnu le révérend Ebenezer Caudray, recteur de la paroisse, s’étaient écartés pour le laisser passer, mais il était resté sur le seuil. Il y avait de l’hésitation dans sa posture et de la décision dans son regard. Ce regard par moments se rencontrait avec celui de Déruchette. Quant à Gilliatt, soit par hasard, soit exprès, il était dans l’ombre, et on ne le voyait que très confusément.

Mess Lethierry d’abord n’aperçut pas M. Ebenezer, mais il aperçut Déruchette. Il alla à elle, et l’embrassa avec tout l’emportement que peut avoir un baiser au front. En même temps il étendait le bras vers le coin sombre où était Gilliatt.

— Déruchette, dit-il, te revoilà riche, et voilà ton mari.

Déruchette leva la tête avec égarement et regarda dans cette obscurité.

Mess Lethierry reprit :

— On fera la noce tout de suite, demain si ça se peut, on aura les dispenses, d’ailleurs ici les formalités ne sont pas lourdes, le doyen fait ce qu’il veut, on est marié avant qu’on ait le temps de crier gare, ce n’est pas comme en