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DÉPART DU « CASHMERE »

Tout à coup un clapotement et une sensation de froid le firent regarder en bas. Le flot lui touchait les pieds.

Il baissa les yeux, puis les releva.

Le Cashmere était tout près.

L’escarpement où les pluies avaient creusé la chaise Gild-Holm-’Ur était si vertical, et il y avait là tant d’eau, que les navires pouvaient sans danger, par les temps calmes, faire chenal à quelques encâblures du rocher.

Le Cashmere arriva. Il surgit, il se dressa. Il semblait croître sur l’eau. Ce fut comme le grandissement d’une ombre. Le gréement se détacha en noir sur le ciel dans le magnifique balancement de la mer. Les longues voiles, un moment superposées au soleil, devinrent presque roses et eurent une transparence ineffable. Les flots avaient un murmure indistinct. Aucun bruit ne troublait le glissement majestueux de cette silhouette. On voyait sur le pont comme si on y eût été.

Le Cashmere rasa presque la roche.

Le timonier était à la barre, un mousse grimpait aux haubans, quelques passagers, accoudés au bordage, considéraient la sérénité du temps, le capitaine fumait.

Mais ce n’était rien de tout cela que voyait Gilliatt.

Il y avait sur le pont un coin plein de soleil. C’était là ce qu’il regardait. Dans ce soleil étaient Ebenezer et Déruchette. Ils étaient assis dans cette lumière, lui près d’elle. Ils se blottissaient gracieusement côte à côte, comme deux oiseaux se chauffant à un rayon de midi, sur un de ces bancs couverts d’un petit plafond goudronné que les navires bien aménagés offrent aux voyageurs et sur lesquels on lit,