Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome I (1891).djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
135
UNE MAUVAISE RÉPUTATION

visionnaire accable l’homme et le stupéfie. L’abrutissement sacré existe. Le fakir a pour fardeau sa vision comme le crétin son goître. Luther parlant aux diables dans le grenier de Wittemberg, Pascal masquant l’enfer avec le paravent de son cabinet, l’obi nègre dialoguant avec le dieu Bossum à face blanche, c’est le même phénomène, diversement porté par les cerveaux qu’il traverse, selon leur force et leur dimension. Luther et Pascal sont et restent grands ; l’obi est imbécile.

Gilliatt n’était ni si haut, ni si bas. C’était un pensif. Rien de plus.

Il voyait la nature un peu étrangement.

De ce qu’il lui était arrivé plusieurs fois de trouver dans de l’eau de mer parfaitement limpide d’assez gros animaux inattendus, de formes diverses, de l’espèce méduse, qui, hors de l’eau, ressemblaient à du cristal mou, et qui, rejetés dans l’eau, s’y confondaient avec leur milieu, par l’identité de diaphanéité et de couleur, au point d’y disparaître, il concluait que, puisque des transparences vivantes habitaient l’eau, d’autres transparences, également vivantes, pouvaient bien habiter l’air. Les oiseaux ne sont pas les habitants de l’air ; ils en sont les amphibies. Gilliatt ne croyait pas à l’air désert. Il disait : Puisque la mer est remplie, pourquoi l’atmosphère serait-elle vide ? Des créatures couleur d’air s’effaceraient dans la lumière et échapperaient à notre regard ; qui nous prouve qu’il n’y en a pas ? L’analogie indique que l’air doit avoir ses poissons comme la mer a les siens ; ces poissons de l’air seraient diaphanes, bienfait de la prévoyance créatrice pour nous comme pour eux ; laissant passer le jour à