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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

Dundee ; tout le soir est dans cet air, toute l’aurore était dans sa voix ; cela faisait un contraste doucement surprenant ; on disait : miss Déruchette est à son piano ; et les passants du bas de la colline s’arrêtaient quelquefois devant le mur du jardin des Bravées pour écouter ce chant si frais et cette chanson si triste.

Déruchette était de l’allégresse allant et venant dans la maison. Elle y faisait un printemps perpétuel. Elle était belle, mais plus jolie que belle, et plus gentille que jolie. Elle rappelait aux bons vieux pilotes amis de mess Lethierry cette princesse d’une chanson de soldats et de matelots qui était si belle « qu’elle passait pour telle dans le régiment ». Mess Lethierry disait : Elle a un câble de cheveux.

Dès l’enfance, elle avait été ravissante. On avait craint longtemps son nez ; mais la petite, probablement déterminée à être jolie, avait tenu bon ; la croissance ne lui avait fait aucun mauvais tour ; son nez ne s’était ni trop allongé, ni trop raccourci ; et, en devenant grande, elle était restée charmante.

Elle n’appelait jamais son oncle autrement que « mon père ».

Il lui tolérait quelques talents de jardinière, et même de ménagère. Elle arrosait elle-même ses plates-bandes de roses trémières, de molènes pourpres, de phlox vivaces et de benoîtes écarlates ; elle cultivait le crépis rose et l’oxalide rose ; elle tirait parti du climat de cette île de Guernesey, si hospitalière aux fleurs. Elle avait, comme tout le monde, des aloès en pleine terre, et, ce qui est plus difficile, elle faisait réussir la potentille du Népaul. Son petit potager