Page:Hugo - William Shakespeare, 1864.djvu/110

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grâce de devenir gentillesse. Comme Jean Goujon, comme Jean Cousin, comme Germain Pilon, comme Primatice, Cervantes a en lui la chimère. De là toutes les grandeurs inattendues de l’imagination. Ajoutez à cela une merveilleuse intuition des faits intimes de l’esprit et une philosophie inépuisable en aspects qui semble posséder une carte nouvelle et complète du cœur humain. Cervantes voit le dedans de l’homme. Cette philosophie se combine avec l’instinct comique et romanesque. De là le soudain, faisant irruption à chaque instant dans ses personnages, dans son action, dans son style ; l’imprévu, magnifique aventure. Que les personnages restent d’accord avec eux-mêmes, mais que les faits et les idées tourbillonnent autour d’eux, qu’il y ait un perpétuel renouvellement de l’idée mère, que ce vent qui apporte des éclairs souffle sans cesse, c’est la loi des grandes œuvres. Cervantes est militant ; il a une thèse ; il fait un livre social. Ces poètes sont des combattants de l’esprit. Où ont-ils appris la bataille ? à la bataille même. Juvénal a été tribun militaire ; Cervantes arrive de Lépante comme Dante de Campalbino, comme Eschyle de Salamine. Après quoi ils passent à une autre épreuve. Eschyle va en exil, Juvénal en exil, Dante en exil, Cervantes en prison. C’est juste, puisqu’ils vous ont rendu service. Cervantes,