Page:Hugo - William Shakespeare, 1864.djvu/334

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leur masse, et leur flèche, et toute leur énormité, pour porter un ange ouvrant sur leur cime ses ailes dorées. Tel est ce drame, le Roi Lear,

Le père est le prétexte de la fille. Cette admirable création humaine, Lear, sert de support à cette ineffable création divine, Cordelia. Tout ce chaos de crimes, de vices, de démences et de misères, a pour raison d’être l’apparition splendide de la vertu. Shakespeare, portant Cordelia dans sa pensée, a créé cette tragédie comme un dieu qui, ayant une aurore à placer, ferait tout exprès un monde pour l’y mettre.

Et quelle figure que le père ! quelle cariatide ! C’est l’homme courbé. Il ne fait que changer de fardeaux, toujours plus lourds. Plus le vieillard faiblit, plus le poids augmente. D vit sous la surcharge. Il porte d’abord l’empire, puis l’ingratitude, puis l’isolement, puis le désespoir, puis la faim et la soif, puis la folie, puis toute la nature. Les nuées viennent sur sa tête, les forêts l’accablent d’ombre, l’ouragan s’abat sur sa nuque, l’orage plombe son manteau, la pluie pèse sur ses épaules, il marche plié et hagard, comme s’il avait les deux genoux de la nuit sur son dos. Éperdu et immense, il jette aux bourrasques et aux grêles ce cri épique : Pourquoi me haïssez-vous, tempêtes ? pourquoi me persécutez-vous ? Vous n’êtes pas mes filles. Et alors,