Page:Hugo Rhin Hetzel tome 1.djvu/110

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la barbarie, les révolutions, et qui s’appelle alors tantôt César, tantôt Charlemagne, tantôt Napoléon.

En 1804, au moment où Bonaparte devenait Napoléon, il visita Aix-la-Chapelle. Joséphine, qui l’accompagnait, eut le caprice de s’asseoir sur le fauteuil de marbre. L’empereur, qui par respect avait revêtu son grand uniforme, laissa faire cette créole. Lui resta immobile, debout, silencieux et découvert devant la chaise de Charlemagne.

Chose remarquable, et qui me vient ici en passant, en 814 Charlemagne mourut. Mille ans après, en quelque sorte heure pour heure, en 1814, Napoléon tomba.

Dans cette même année fatale, 1814, les souverains alliés firent leur visite à l’ombre du grand Charles. Alexandre de Russie, comme Napoléon, avait revêtu son grand uniforme ; Frédéric-Guillaume de Prusse portait la capote et la casquette de petite tenue ; François d’Autriche était en redingote et en chapeau rond. Le roi de Prusse monta deux des marches de marbre et se fit expliquer par le prévôt du chapitre les détails du couronnement des empereurs d’Allemagne. Les deux empereurs gardèrent le silence.

Aujourd’hui, Napoléon, Joséphine, Alexandre, Frédéric-Guillaume et François sont morts.

Mon guide, qui me donnait tous ces détails, est un ancien soldat français d’Austerlitz et d’Iéna, fixé depuis à Aix-la-Chapelle et devenu prussien par la grâce du congrès de 1815. Maintenant il porte le baudrier et la hallebarde devant le chapitre dans les cérémonies. J’admirais la providence qui éclate dans les plus petites choses. Cet homme qui parle aux passants de Charlemagne est plein de Napoléon. De là, à son insu même, je ne sais quelle grandeur dans ses paroles. Il lui venait des larmes aux yeux quand il me racontait ses anciennes batailles, ses anciens camarades, son ancien colonel. C’est avec cet accent qu’il m’a entretenu du maréchal Soult, du colonel Graindorge, et, sans savoir combien ce nom m’intéressait, du général Hugo. Il avait reconnu en moi un français, et je n’oublierai jamais avec quelle solennité simple et profonde il me dit en me quittant : — Vous pourrez dire, monsieur, que vous avez vu à Aix-la-Chapelle un sapeur du trente-sixième régiment, suisse de la cathédrale.