Page:Hugo Rhin Hetzel tome 1.djvu/133

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de Paris. Épopées, soit. Mais cet homme est d’une saleté rare. Je n’ai vu de ma vie un drôle moins brossé. Je ne crois pas que nous ayons en France rien de comparable à ce poëte-épic.

En revanche, quelques instants plus tard, au moment où je traversais je ne sais quelle rue étroite et obscure, un petit vieillard à l’œil vif est sorti brusquement d’une boutique de barbier et est venu à moi en criant : Monsieur ! monsieur ! fous français ! Oh ! les français ! ran ! plan ! plan ! ran ! tan ! plan ! la guerre à tout le monde ! Prafes ! prafes ! Napolion, n’est-ce pas ? La guerre à toute l’Europe ! Oh ! les français ! pien praves ! monsieur ! La païonnette au qui à tous ces priciens ! einne ponne quilpite gomme à Iëna ! Prafo les français ! ran ! plan ! plan !

J’avoue que la harangue m’a plu. La France est grande dans les souvenirs et dans les espérances de ces nobles nations. Toute cette rive du Rhin nous aime, — j’ai presque dit nous attend.

Le soir, comme les étoiles s’allumaient, je me suis promené de l’autre côté du fleuve, sur la grève opposée à Cologne. J’avais devant moi toute la ville, dont les pignons sans nombre et les clochers noirs se découpaient avec tous leurs détails sur le ciel blafard du couchant. À ma gauche se levait, comme la géante de Cologne, la haute flèche de Saint-Martin avec ses deux tourelles percées à jour. Presque en face de moi, la sombre abside-cathédrale, dressant ses mille clochetons aigus, figurait un hérisson monstrueux, accroupi au bord de l’eau, dont la grue du clocher semblait former la queue et auquel deux réverbères allumés vers le bas de cette masse ténébreuse faisaient des yeux flamboyants. Je n’entendais dans cette ombre que le frissonnement caressant et discret du flot à mes pieds, les pas sourds d’un cheval sur les planches du pont de bateaux, et au loin, dans une forge que j’entrevoyais, la sonnerie éclatante d’un marteau sur une enclume. Aucun autre bruit de la ville ne traversait le Rhin. Quelques vitres scintillaient vaguement, et au-dessous de la forge, fournaise embrasée, point étincelant, pendait et se dispersait dans le fleuve une longue traînée lumineuse, comme si cette poche pleine de feu se vidait dans l’eau.