Page:Hugo Rhin Hetzel tome 1.djvu/159

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deux rives se perdaient dans le crépuscule. Son bruit était un rugissement puissant et paisible. Je lui trouvais quelque chose de la grande mer.

Oui, mon ami, c’est un noble fleuve, féodal, républicain, impérial, digne d’être à la fois français et allemand. Il y a toute l’histoire de l’Europe considérée sous ses deux grands aspects, dans ce fleuve des guerriers et des penseurs, dans cette vague superbe qui fait bondir la France, dans ce murmure profond qui fait rêver l’Allemagne. Le Rhin réunit tout. Le Rhin est rapide comme le Rhône, large comme la Loire, encaissé comme la Meuse, tortueux comme la Seine, limpide et vert comme la Somme, historique comme le Tibre, royal comme le Danube, mystérieux comme le Nil, pailleté d’or comme un fleuve d’Amérique, couvert de fables et de fantômes comme un fleuve d’Asie.

Avant que l’histoire écrivît, avant que l’homme existât peut-être, où est le Rhin aujourd’hui, fumait et flambloyait une double chaîne de volcans qui se sont éteints en laissant sur le sol deux tas de laves et de basaltes disposés parallèlement comme deux longues murailles. À la même époque, les cristallisations gigantesques qui sont les montagnes primitives s’achevaient, les alluvions énormes qui sont les montagnes secondaires se desséchaient, l’effrayant monceau que nous appelons aujourd’hui les Alpes se refroidissait lentement, les neiges s’y accumulaient ; deux grands écoulements de ces neiges se répandirent sur la terre ; l’un, l’écoulement du versant septentrional, traversa les plaines, rencontra la double tranchée des volcans éteints et s’en alla par là à l’Océan ; l’autre, l’écoulement du versant occidental, tomba de montagne en montagne, côtoya cet autre bloc de volcans expirés que nous nommons l’Ardèche, et se perdit dans la Méditerranée. Le premier de ces écoulements, c’est le Rhin ; le second, c’est le Rhône.

Les premiers hommes que l’histoire voit poindre sur les bords du Rhin, c’est cette grande famille de peuples à demi sauvages qui s’appelaient celtes, et que Rome appela gaulois ; qui ipsorum lingua celtæ, nostra vero galli vocantur, dit César. Les rauraques s’établirent plus près de la source, les argentoraques et les moguntiens plus près