Page:Hugo Rhin Hetzel tome 1.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’appelle entendu, un vague frémissement métallique, le son faible et à peine distinct d’une cloche, qui montait jusqu’à moi à travers le crépuscule et semblait en effet sortir de dessous la tour. Je confesse qu’à ce bruit si étrange les vers d’Hamlet à Horatio ont subitement reparu dans ma mémoire, comme s’ils étaient écrits en caractères lumineux ; j’ai même cru un moment qu’ils éclairaient mon esprit. Mais je suis bien vite retombé dans le monde réel. — C’était l’angelus de quelque village que le vent m’apportait complaisamment. — N’importe. Il ne tient qu’à moi de croire et de dire que j’ai entendu tinter et palpiter sous la montagne la mystérieuse cloche d’argent de Velmich.

Comme je sortais du fossé septentrional, qui s’est changé en un ravin très épineux, le mont voisin, le tombeau du géant, s’est brusquement présenté à moi. Du point où j’étais, le rocher dessine à la base de la montagne, tout près du Rhin, le profil colossal d’une tête renversée en arrière, la bouche béante. On dirait que le géant qui, selon les légendes, gît là sur le ventre, étouffé sous le poids du mont, était parvenu à soulever un peu l’effroyable masse, et que déjà sa tête sortait d’entre les rochers, mais qu’à ce moment-là quelque Apollon ou quelque saint Michel a mis le pied sur la montagne, de sorte que le monstre écrasé a expiré dans cette posture en poussant un grand cri. Le cri s’est perdu dans les ténèbres de quarante siècles, la bouche est demeurée ouverte.

Du reste, je dois déclarer que ni le géant, ni la cloche d’argent, ni le spectre de Falkenstein, n’empêchent les vignes et les échalas de monter de terrasse en terrasse fort près de la Souris. Tant pis pour les fantômes qui se logent dans les pays vignobles ! on leur fera du vin à leur porte, et les vrilles de la vigne s’accrocheront gaîment à leur masure. À moins pourtant que ce coteau de Velmich ne soit cultivé par les esprits eux-mêmes, et qu’il ne faille appliquer à ces fantastiques vignerons cette phrase que je lisais hier dans je ne sais quel guide tudesque des bords du Rhin : — « Derrière la montagne de Johannisberg se trouve le village du même nom avec près de sept cents âmes qui récoltent un très bon vin. »