Page:Hugo Rhin Hetzel tome 1.djvu/185

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Il faut d’ailleurs que le passant même le plus altéré se garde de toucher à ce raisin, ensorcelé ou non. À Velmich, on est dans le duché de M. de Nassau, et les lois de Nassau sont féroces à l’endroit des délits champêtres. Tout délinquant saisi est tenu d’acquitter une amende égale à la somme des dommages causés pour tous les délits antérieurs dont les coupables ont échappé. Dernièrement, un touriste anglais a cueilli et mangé dans un champ une prune qu’il a payée cinquante florins.

Je voulais aller chercher gîte à Saint-Goar, qui est sur la rive gauche, à une demi-lieue plus haut que Velmich. Un batelier du village m’a fait passer le Rhin et m’a déposé poliment chez le roi de Prusse, car la rive gauche est au roi de Prusse. Puis, en me quittant, ce brave homme m’a donné, dans une langue composite, moitié en allemand, moitié en gaulois, des renseignements sur mon chemin que j’ai sans doute mal compris ; car, au lieu de suivre la route qui côtoie le fleuve, j’ai pris par la montagne, croyant abréger, et je me suis quelque peu égaré.

Cependant, comme je traversais, broyant le chaume fraîchement coupé, de hautes plaines rousses où les grands vents se déploient le soir, un ravin s’est tout à coup présenté à ma gauche. J’y suis entré, et, après quelques instants d’une descente très âpre le long d’un sentier qui semble par moments un escalier fait avec de larges ardoises, je revoyais le Rhin.

Je me suis assis là ; j’étais las.

Le jour n’avait pas encore complètement disparu. Il faisait nuit noire pour le ravin où j’étais et pour les vallées de la rive gauche adossées à de grosses colonnes d’ébène ; mais une inexprimable lueur rose, reflet du couchant de pourpre, flottait sur les montagnes de l’autre côté du Rhin et sur les vagues silhouettes de ruines qui m’apparaissaient de toutes parts. Sous mes yeux, dans un abîme, le Rhin, dont le murmure arrivait jusqu’à moi, se dérobait sous une large brume blanchâtre d’où sortait à mes pieds mêmes la haute aiguille d’un clocher gothique à demi submergé dans le brouillard. Il y avait sans doute là une ville, cachée par cette nappe de vapeur. Je voyais à ma droite, à quelques toises plus bas que moi, le plafond