Page:Hugo Rhin Hetzel tome 1.djvu/192

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cette caverne de voleurs homérique, que des scabieuses sauvages, l’ombre déchirée des fenêtres errant sur les décombres, deux ou trois vaches qui paissent l’herbe des ruines, un reste d’armoiries mutilées par le marteau au-dessus de la grande porte, et çà et là, sous le pied du voyageur, des pierres écartées par le passage des reptiles.

J’ai aussi visité, derrière la colline du Reichenberg, quelques masures, aujourd’hui à peine visibles, d’un village disparu, qui s’appelle le village des Barbiers.

Voici ce que c’était que le village des Barbiers.

Le diable, qui en voulait à Frédéric Barberousse à cause de ses nombreuses croisades, eut un jour l’idée de lui couper la barbe. C’est là une vraie niche magistrale, fort convenable de diable à empereur. Il arrangea donc avec une Dalila locale je ne sais quelle trahison invraisemblable au moyen de laquelle l’empereur Barberousse, passant à Bacharach, devait être endormi, puis rasé par un des nombreux barbiers de la ville. Or Barberousse, n’étant encore que duc de Souabe, avait obligé, du temps de ses amours avec la belle Gela, une vieille fée de la Wisper qui résolut de contrecarrer le diable. La petite fée, grosse comme une sauterelle, alla trouver un géant très bête de ses amis, et le pria de lui prêter son sac. Le géant y consentit et s’offrit même gracieusement à accompagner la fée, ce qu’elle accepta. La petite fée se grandit probablement un peu, puis alla à Bacharach dans la nuit même qui devait précéder le passage de Barberousse, prit un à un tous les barbiers de la ville pendant qu’ils dormaient profondément et les mit dans le sac du géant. Après quoi, elle dit au géant de charger ce sac sur ses épaules et de l’emporter bien loin, n’importe où. Le géant, qui, à cause de la nuit et de sa bêtise, n’avait rien vu de ce qu’avait fait la vieille, lui obéit et s’en alla à grandes enjambées par le pays endormi avec le sac sur son dos. Cependant les barbiers de Bacharach, cognés pêle-mêle les uns contre les autres, commencèrent à se réveiller et à grouiller dans le sac. Le géant de s’effrayer et de doubler le pas. Comme il passait par-dessus le Reichenberg et qu’il levait un peu la jambe à cause de la grande tour, un des barbiers, qui avait son rasoir dans sa poche, l’en tira et fit au sac un