Page:Hugo Rhin Hetzel tome 1.djvu/98

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puis tous deux remontent, l’étranger et le bourgeois. On vide la sacoche devant le sénat ; elle était en effet pleine d’or.

Le sénat ouvre de grands yeux bêtes et dit à l’étranger :

— Qui êtes-vous, monseigneur ?

— Mes chers manants, je suis celui qui a de l’argent. Que voulez-vous de plus ? J’habite dans la forêt Noire, près du lac de Wildsée, non loin des ruines de Heidenstadt, la ville des païens. Je possède des mines d’or et d’argent, et, la nuit, je remue avec mes mains des fouillis d’escarboucles. Mais j’ai des goûts simples, je m’ennuie, je suis un être mélancolique, je passe mes journées à voir jouer sous la transparence du lac le tourniquet et le triton d’eau, et à regarder pousser parmi les roches le polygonum amphibium. Sur ce, trêve aux questions et aux billevesées. J’ai débouclé ma ceinture, profitez-en. Voilà votre million d’or. En voulez-vous ?

— Pardieu oui, dit le sénat. Nous finirons notre église.

— Eh bien, prenez ; mais à une condition.

— Laquelle, monseigneur ?

— Finissez votre église, bourgeois ; prenez toute cette mitraille ; mais promettez-moi en échange la première âme quelconque qui entrera dans votre église et qui en franchira la porte le jour où les cloches et les carillons en sonneront la dédicace.

— Vous êtes le diable ! s’écria le sénat.

— Vous êtes des imbéciles ! répondit Urian.

Les bourgmestres commencèrent par des soubresauts, des frayeurs et des signes de croix. Mais, comme Urian était bon diable, et riait à se tordre les côtes en faisant sonner son or tout neuf, ils se rassurèrent et l’on négocia. Le diable a de l’esprit. C’est à cause de cela qu’il est le diable.

— Après tout, disait-il, c’est moi qui perd au marché. Vous aurez votre million et votre église. Moi, je n’aurai qu’une âme. Et quelle âme, s’il vous plaît ? La première venue. Une âme de hasard. Quelque mauvais drôle d’hypocrite qui jouera la dévotion et qui voudra, par faux zèle, entrer le premier. Bourgeois, mes amis, votre église