Page:Hugo Rhin Hetzel tome 2.djvu/19

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À quoi je me contentais de répondre : — Mon ami, c’est de la science morte ; et la science morte n’est plus de la science, c’est de l’érudition. Et G― me répliquait avec son doux regard plein de gravité et d’enthousiasme : — Vous avez raison. La science meurt. Il n’y a que l’art qui soit immortel. Un grand savant fait oublier un autre grand savant ; quant aux grands poètes du passé, les grands poètes du présent et de l’avenir ne peuvent que les égaler. Aristote est dépassé, Homère ne l’est pas.

Cela dit, il devenait pensif, puis il se mettait à chercher un bupreste dans l’herbe ou une rime dans les nuages.

Nous arrivâmes ainsi près de Milly, dans une plaine où l’on voit encore les vestiges d’une masure devenue fameuse dans les procès de sorciers du dix-septième siècle. Voici à quelle occasion. Un loup-cervier ravageait le pays. Des gentilshommes de la vénerie du roi le traquèrent avec grand renfort de valets et de paysans. Le loup, poursuivi dans cette plaine, gagna cette masure et s’y jeta. Les chasseurs entourèrent la masure, puis y entrèrent brusquement. Ils y trouvèrent une vieille femme. Une vieille femme hideuse, sous les pieds de laquelle était encore la peau du loup que Satan n’avait pas eu le temps de faire disparaître dans sa chausse-trappe. Il va sans dire que la vieille fut brûlée sur un fagot vert ; ce qui s’exécuta devant le beau portail de la cathédrale de Sens.

J’admire que les hommes, avec une sorte de coquetterie inepte, soient toujours venus chercher ces calmes et sereines merveilles de l’intelligence humaine pour faire devant elles leurs plus grosses bêtises.

Cela se passait en 1636, dans l’année où Corneille faisait jouer le Cid.

Comme je racontais cette histoire à G―, écoutez, me dit-il. — Nous entendions en effet sortir d’un petit groupe de maisons caché dans les arbres à notre gauche la fanfare d’un charlatan. G― a toujours eu du goût pour ce genre de bruit grotesque et triomphal. — Le monde, me disait-il un jour, est plein de grands tapages sérieux dont ceci est la parodie. Pendant que les avocats déclament sur le tréteau politique, pendant que les rhéteurs pérorent sur le tréteau scolastique, moi je vais dans les