Page:Hugo Rhin Hetzel tome 2.djvu/192

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de m’entendre. J’arrive essoufflé près de lui, et je répète ma question.

— Où nous allons ? dit-il en français et sans s’arrêter.

— Oui, repris-je.

— Pardieu, fit-il, là !

Et il montrait d’un hochement de tête la maison blanche, qui n’était plus qu’à un jet de pierre.

— Hé ! qu’est cela ? lui dis-je.

— Hé ! c’est l’hôtel.

— Ce n’est pas là que je vais.

Il s’arrêta court. Il me regarda, comme le patron du dampfschiff, de l’air le plus stupéfait ; puis, après un moment de silence, il ajouta avec cette fatuité propre aux aubergistes qui se sentent seuls dans un lieu désert et qui se donnent le luxe d’être insolents parce qu’ils se croient indispensables :

— Monsieur couche dans les champs ?

Je ne crus pas devoir m’émouvoir.

— Non, lui dis-je ; je vais à la ville.

— Où ça, la ville ?

— A Worms.

— Comment, à Worms ?

— A Worms !

— A Worms ?

— A Worms !

— Ah ! reprit l’homme.

Que de choses il peut y avoir dans un ah ! Je n’oublierai jamais celui-là. Il y avait de la surprise, de la colère, du mépris, de l’indignation, de la raillerie, de l’ironie, de la pitié, un regret profond et légitime de mes thalers et de mes silbergrossen, et, en somme, une certaine nuance de haine. Ce ah ! Voulait dire : ― Qu’est-ce que c’est que cet homme-là ? Avec quel sac de nuit me suis-je fourvoyé ? Cela va à Worms ! Qu’est-ce que cela va faire à Worms ? Quelque intrigant ! Quelque banqueroutier qui se cache ! Donnez-vous donc la peine de bâtir une auberge sur les bords du Rhin pour de pareils voyageurs ! Cet homme me frustre. Aller à Worms, c’est stupide ! Il eût bien dépensé chez moi dix francs de France ; il me les doit ! C’est un voleur. Est-il bien sûr qu’il ait le droit d’aller ailleurs ?