Page:Hugo Rhin Hetzel tome 2.djvu/28

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moi. Le soleil était ardent, la fraîche haleine du Rhin s’attiédissait, la route se couvrait de poussière ; à ma droite s’ouvrait étroitement entre deux rochers un charmant ravin plein d’ombre ; un tas de petits oiseaux y babillaient à qui mieux mieux et se livraient à d’affreux commérages les uns sur les autres dans les profondeurs des arbres ; un ruisseau d’eau vive grossi par les pluies, tombant de pierre en pierre, prenait des airs de torrent, dévastait les pâquerettes, épouvantait les moucherons et faisait de petites cascades tapageuses dans les cailloux ; je distinguais vaguement le long de ce ruisseau, dans les douces ténèbres que versaient les feuillages, un sentier que mille fleurs sauvages, le liseron, le passe-velours, l’hélicryson, le glaïeul aux lancéolés cannelées, la flambe aux neuf feuilles perses cachaient pour le profane et tapissaient pour le poète. Vous savez qu’il y a des moments où je crois presque à l’intelligence des choses ; il me semblait qu’une foule de voix murmuraient dans ce ravin et me disaient : — Où vas-tu ? tu cherches les endroits où il y a peu de pas humains et où il y a beaucoup de traces divines ; tu veux mettre ton âme en équilibre avec l’âme de la solitude ; tu veux de l’ombre et de la lumière, du mouvement et de la paix, des transformations et de la sérénité ; tu cherches le lieu où le verbe s’épanouit dans le silence, où l’on voit la vie à la surface de tout et où l’on sent l’éternité au fond ; tu aimes le désert et tu ne hais pas l’homme ; tu cherches de l’herbe et des mousses, des feuilles humides, des branches gonflées de sève, des oiseaux qui fredonnent, des eaux qui courent, des parfums qui se répandent. Eh bien ! entre. Ce sentier est ton chemin.

Je ne me suis pas fait prier long-temps, je suis entré dans le ravin.

Vous dire ce que j’ai fait là, ou plutôt ce que la solitude m’y a fait ; comment les guêpes bourdonnaient autour des clochettes violettes ; comment les nécrophores cuivrés et les féronies bleues se réfugiaient dans les petits antres microscopiques que les pluies leur creusent sous les racines des bruyères ; comment les ailes froissaient les feuilles ; ce qui tressaillait sourdement dans les mousses, ce qui jasait dans les nids ; le bruit doux et indistinct des végé-