Page:Hugo Rhin Hetzel tome 2.djvu/89

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écarlate surgirent, menant deux chevaux magnifiques. L’un était un beau genêt d’Espagne, à l’allure magistrale, à la corne lisse, noirâtre, haute, arrondie, bien creusée, aux pâturons courts, entredroits et lunés, aux bras secs et nerveux, aux genoux décharnés et bien emboîtés. Il avait la jambe d’un beau cerf, la poitrine large et bien ouverte, l’échiné grasse, double et tremblante. L’autre était un coureur tartare à la croupe énorme, au corsage long, aux flancs bien unis, au manteau bayardant. Son cou, d’une moyenne arcade, mais pas trop voûté, était revêtu d’une vaste perruque flottante et crépelue ; sa queue bien épaisse pendait jusqu’à terre. Il avait la peau du front cousue sur ses yeux gros et étincelants, la bouche grande, les oreilles inquiètes, les naseaux ouverts, l’étoile au front, deux balzans aux jambes, son courage en fleur, et l’âge de sept ans. Le premier avait la tête coiffée d’un chanfrein, le poitrail d’armes et la selle de guerre. Le second était moins fièrement, mais plus splendidement harnaché ; il portait le mors d’argent, les roses dorées, la bride brodée d’or, la selle royale, la housse de brocard, les houppes pendantes et le panache branlant. L’un trépignait, bravait, ronflait, rongeait son frein, brisait les cailloux et demandait la guerre. L’autre regardait çà et là, cherchait des applaudissements, hennissait gaiement, ne touchait la terre que du bout de l’ongle, faisait le roi et piaffait à merveille. Tous deux étaient noirs comme l’ébène. — Pécopin, les yeux presque effarés d’admiration, contemplait ces deux merveilleuses bêtes.

— Hé bien, dit le seigneur clopinant et toussant, et souriant toujours, lequel prends-tu ?

Pécopin n’hésita plus, et sauta sur le genêt.

— Es-tu bien en selle ? lui cria le vieillard.

— Oui, dit Pécopin.

Alors le vieux éclata de rire, arracha d’une main le harnois, le panache, la selle et le caparaçon du cheval tartare, le saisit de l’autre à la crinière, bondit comme un tigre et enfourcha à cru la superbe bête qui tremblait de tous ses membres ; puis, saisissant sa trompe à sa ceinture, il se mit à sonner une fanfare tellement formidable que Pécopin assourdi crut que cet effrayant vieillard avait le tonnerre dans la poitrine.